Sur le territoire de la commune d’Heilly, se trouvait un château qui, selon la légende, aurait appartenu à Ganelon de Hautefeuille, beau-frère de Charlemagne, celui-là même que nous retrouvons dans la célèbre la Chanson de Roland.

Cette légende raconte que Charlemagne serait venu en personne à Heilly pour s’assurer que Ganelon ne l’avait pas trahi. Celui-ci jura par la tour de son château qu’il était innocent et, au même instant, la tour se fendit, Ganelon fut tué et la terre de Hautefeuille fut donnée par Charlemagne à son cousin Karl d’Heilly. C’est depuis cette époque que la seigneurie et le village portent le nom d’Heilly, mais les habitants sont restés des Hautefeuillois

Voici toute l’histoire :

En 778, en pleine guerre contre Marsile le roi des Sarrasins dEspagne, Charlemagne a envoyé Ganelon en ambassade, Ganelon le beau-père du paladin (chevalier ayant atteint le plus haut grade) Roland, qui est le plus vaillant d’entre les guerriers de France.

Sur le chemin, Ganelon médite :« Depuis longtemps je hais le neveu de Charlemagne; l’occasion n’est-elle pas venue de le vendre aux Sarrasins? Que Roland périsse, et chacun me proclamera le premier du royaume»

Et ainsi songeant, il arrive près du roi Marsile.

« Parle-moi de ton maître, le vaillant empereur Charles! dit le chef des infidèles. Ce guerrier en cheveux blancs est si vieux, et ses actions sont si grandes!  Il a promené son corps par tant de terres ! il a réduit à mendier tant de rois puissants !

Quand donc sera-t-il las de guerroyer?

— Jamais tant que vivra Roland, Roland le paladin, Roland le soutien du royaume.

— Ne sais-tu pas, Ganelon, que 400 000 chevaux sont dans mes écuries, et que 400 000 cavaliers sont prêts à les monter?

— En eussiez-vous encore dix fois et cent fois plus, que vous ne viendriez pas à bout de Charles.

Usez de ruse; soumettez-vous sur l’heure. Charlemagne rentrera en France, et je vous livrerai son neveu Roland avec 20 000 Français. Lorsque l’arrière-garde sera dans les profonds défilés des Pyrénées, vous lancerez sur elle 100 000 des vôtres. Ils périront. Mais encore vous en lancerez 100 000 autres, et Roland succombera. Le paladin mort, vous vaincrez facilement l’empereur.

— Jurons! dit le roi Marsile. Et tous deux lèvent la main et échangent leurs serments.

Ganelon revient auprès de Charlemagne, avec les clefs de Saragosse, donnée aux Francs en signe de paix.

Les cors et les clairons sonnent le départ et l’armée des chrétiens se met en marche pour le doux pays de France.

Lentement ils remontent vers les Pyrénées, tandis que les Sarrasins chevauchent en hâte par les vallées, les plaines et les monts, et viennent se poster dans les taillis bordant le défilé de Roncevaux. Ils sont là 100 000, casque en tête, cuirasse au dos, lances et épées à la main. Et derrière les Francs, il en est encore 100 000 autres.

« Vous voyez cette profonde vallée! dit l’empereur à ses 12 pairs. Qui restera à l’arrière-garde?
— Ce sera Roland, Roland, mon fils chéri! dit le traître Ganelon. Il n’est point dans l’armée quelqu’un qui l’égale.

Le fier paladin monte sur son cheval; il revêt sa cuirasse et son casque, il dresse sa lance dont les longues franges d’or descendent jusque sur la croupe de son noble coursier. En main il tient sa Durandal, sa bonne épée forgée. Autour de lui se rangent ses compagnons, Olivier, Ogier, l’archevêque Turpin et 20 000 autres vaillants hommes de France.

L’armée de Charlemagne s’engage dans les sombres défilés de Roncevaux. La terre de France paraît enfin.

« A Roncevaux! à Roncevaux! » crient les Sarrasins.

Le jour était clair, le soleil était beau, l’air était doux; les armures brillaient de mille feux; les cors et les clairons résonnaient dans les forêts, et le bruit en arrivait aux Francs.

« Ami Roland, dit Olivier, quel est donc ce bruit? Ne sont-ce pas ces païens maudits? Peut-être aurons-nous bataille en ce jour.

— A la grâce de Dieu! Nous sommes ici pour la France! pour elle tout Français doit souffrir, endurer les chauds et les froids, perdre son sang et sa chair, frapper de grands coups, et mourir si c’est nécessaire. »

Le bruit maintenant augmente. Olivier monte sur la montagne. Il appelle Roland.

« Ah! que de blanches cuirasses! que de casques! que de lances! et que de cavaliers sur la terre d’Espagne! Roland, nous sommes vendus et Ganelon est le traître!

Roland est brave et Olivier est sage, et tous deux sont amis. Et le sage guerrier dit : « Les païens sont nombreux comme les feuilles de la forêt, et nos Francs sont bien peu. Sonnez de votre cor, Roland! Charles l’entendra et ramènera son armée !

— Je serais bien fou, répond Roland. J’en perdrais ma gloire au beau pays de France. Non! je frapperai de grands coups avec ma Durandal,

— Où serait, Roland, le déshonneur? je les ai vus; les vallées en sont couvertes, avec les montagnes, et les clairières, et les grandes plaines!

Les Sarrasins sont tout près; les voici.

« Vous n’avez pas voulu sonner du cor, dit Olivier; maintenant il est trop tard, car Charlemagne est déjà loin. Combattons et mourons ! »

Les Français répondent par leur cri de guerre :

« Montjoie et Saint-Denis! »

Ils enfoncent leurs éperons dans le flanc de leurs montures et s’élancent sur les païens.

Roland frappe le premier coup, et le neveu du roi Marsile tombe dans la poussière. Olivier frappe le second coup : c’est pour le frère du roi des Sarrasins ! Et les 12 pairs de France abattent les 12 pairs d’Espagne.

« Combien peu nombreux sont les chrétiens ! »s’écrie ironiquement un chef des infidèles.

Roland est ferme comme une tour; sa longue lance perce des files entières de Sarrasins; rien ne lui résiste, ni cuirasses, ni écus, ni boucliers!

Les Sarrasins tombent par 10; ils tombent par 100; ils tombent par 1 000. Mais pour 1 de mort, 20 le remplacent, et les Français perdent les meilleurs d’entre leurs guerriers.

« Les chrétiens ont perdu 10 000 des leurs. L’instant est venu de les faire périr jusqu’au dernier» 100 000 Sarrasins s’avancent et tombent encore sur Roland et ses fidèles.

Les pairs, un à un, tombent sur l’herbe rougie; les Sarrasins sont trop nombreux. Il ne reste plus que 300 épées. Mais ces épées volent et abattent les têtes, et Durandal fauche les païens.

Et dix autres colonnes s’élancent. Roland, Olivier et l’archevêque font merveille. Autour d’eux, il ne reste que 60 guerriers.

« Ami, dit Olivier, viens auprès de moi que nous ne mourions pas l’un sans l’autre!

— Ah! si Charlemagne était ici! répond Roland. Comment ferai-je pour lui donner de nos nouvelles?

— Je n’en sais rien, ami Roland.

— Je vais sonner de mon olifant et ainsi, peut-être, mon oncle m’entendra.

— L’heure est passée. Ce serait honte! Si vous m’aviez cru, Charlemagne serait ici. Maintenant, il faut mourir.

Roland met cependant le cor d’ivoire à ses lèvres et sonne de toutes ses forces. Le sang lui jaillit de la bouche et des tempes. Mais le son court à travers les défilés et le bruit s’en entend à 30 lieues.

« Qu’est-ce donc? dit l’empereur. J’entends le cor de Roland! Sans doute il y a grande bataille à Roncevaux !

Roland chasse, dit le traître Ganelon. Il est homme à corner toute la journée pour un cerf ou un daim. »

Roland souffle toujours avec grande douleur.

« C’est mon neveu qui souffre là-bas! s’écrie Charlemagne. Jamais je n’ai ouï sons si plaintifs et si déchirants. »

Et voilà que la nature se met en deuil pour la mort du paladin. Les nuages noirs couvrent le ciel; le tonnerre gronde, le vent souffle et mugit, mais pas aussi fort que l’olifant de Roland.

Charles crie : « Au secours ! mon neveu chéri se meurt à Roncevaux! »

« Roland! Roland! courage! Nous voici! » Tels sont les cris qui maintenant s’élèvent de l’armée de Charles. Hélas! il est trop tard!

A Roncevaux, ils ne sont plus que trente.

Olivier tombe frappé par un païen. Roland abat son meurtrier et lui crie : « Tu n’iras pas te vanter chez les tiens! »

Deux Français restent encore : Roland et Turpin, et ils sont là mourants. Le paladin délace la cuirasse de l’archevêque, il bande ses plaies et il le couche sur l’herbe rougie.

Puis il se traîne sur le champ de bataille, ramasse les corps des douze pairs et les range devant Turpin.

L’archevêque les bénit et meurt.

« Charles ! Charles!. Roland ! nous voici ! » crient soixante mille voix dans le lointain.

Et déjà les infidèles se sont enfuis devant l’armée de l’empereur, comme les lièvres devant les limiers. Trop tard! trop tard, hélas!

Roland est à l’agonie. Un Sarrasin le saisit et veut l’entraîner. Mais le fier baron lui brise la tête d’un formidable coup de son olifant.

Puis Roland dit :
« Ma bonne Durandal, vous laisserai-je donc aux mains des païens? Non, plutôt je vous briserai! »

Il prend alors son épée et, pour la briser, la frappe contre la roche brune. L’acier grince, il entame la montagne et ouvre une large brèche, mais il ne se rompt point.

Trois fois Roland frappe la roche grise et trois vallées nouvelles s’ouvrent au flanc des grands monts.

Le paladin se couche; d’une main il tient son olifant, de l’autre sa Durandal. Et il meurt.

« Allez, mes fidèles ! dit l’empereur. Et apportez-moi l’épée de mon vaillant neveu ! »

Gauvain s’épuise en efforts; Roland mort ne veut point laisser Durandal. Cinq chevaliers, un pour chaque doigt, ne sont pas plus heureux.

« La bonne épée du paladin ne pourra, sans doute, être prise que par quelqu’un qui vaille Roland en force et en bravoure ! disent les compagnons de l’empereur. Ce sera Charlemagne. »

Charles se met en prières ; il s’approche un genou en terre. La main de Roland se desserre et abandonne l’épée.

Le temps passe.

chateau heilly

En son château d’Heilly, le traître Ganelon a réuni les barons et les preux.

Les vins les plus renommés circulent à la ronde dans les hanaps et les coupes d’or fin; la joie est grande parmi les chevaliers. On ne songe donc plus au paladin? Roland ne sera-t-il point vengé?

Mais soudain le cor résonne; les ponts-levis du château d’Heilly s’abaissent, et devant le vieil empereur les lourdes portes de chêne s’ouvrent.

Charlemagne paraît dans la salle du festin. Les barons se lèvent. Adieu les chansons et les cris de joie! Ganelon aussi s’est levé et s’est avancé vers l’empereur.

« Ganelon, demande Charles, Ganelon, qu’as-tu fait de Roland, de Roland le plus brave des Francs ?

— Sire, n’est-il pas mort à Roncevaux?

Ganelon, qu’as-tu fait de Roland? »

Le lâche demeure sans voix.

« Ganelon, tu es un traître. Tu as vendu mon neveu au Sarrasin Marsile.

— Seigneur, murmure le félon, seigneur. je n’ai pas vendu Roland. Je le jure.

— Et sur quoi le jures-tu?

— Les sept tours du château d’Heilly sont solides comme des rochers. Puissent-elles à l’instant se fendre par le milieu si j’ai menti!

— Ainsi soit-il! » dit l’empereur.

Et voilà qu’à l’instant un craquement épouvantable se fait entendre. Les tours du castel se fendent par le milieu ; 6 s’écroulent et 1 seule reste debout pour attester la honte de Ganelon.

« Soldats! crie Charlemagne, saisissez le traître »

Dans la grande forêt d’Heilly, Charles est avec toute sa cour, seigneurs et guerriers, barons et princesses. C’est que ce jour il doit y avoir grande chasse !

« Qu’on amène Ganelon! » commande l’empereur.

Le traître est conduit devant Charlemagne. Les valets le déshabillent et le cousent dans la peau d’un loup énorme fraîchement écorché. L’empereur fait un signe, et à grands coups d’épieu le félon est chassé dans la forêt.

La meute s’élance, et à travers fourrés et buissons, taillis et futaies, poursuit Ganelon.

Enfin, il est saisi, l’infâme! Les chiens furieux l’entourent; ils le mordent, ils le déchirent, et dans d’épouvantables souffrances, il meurt enfin, celui qui vendit Roland au roi des Sarrasins d’Espagne.

 

tour chateau heilly

Reste 2016 tour château Heilly 80

Les nuits de grand vent, il parait qu’il ne fait pas bon traîner dans la forêt d’Heilly, on y entendrai de sinistres hurlements. Certains ajoutent que c’est l’âme tourmentée de Ganelon qui erre encore de nos jours.