LES ANCIENS VIGNOBLES DE CORBIE.

Histoire des vigobles de CorbieIl y a fort longtemps, les vignobles de Corbie couvraient une grande partie des terres qui s’élèvent en pente douce au nord-est de la ville, à partir de l’ancienne porte d’Encre, notamment sur le versant oriental où la nature et la bonne exposition du terrain se prêtaient le mieux à ce genre de culture. Les chemins de Bonnay, de la Vieille Justice, vers le nord, les ruelles ou chemins de Vaux, de la Crête, de la Grande Fontaine, descendant vers la vallée de Somme, étaient tous plus ou moins bordés de vignes.

Corbie avait ses clos comme les pays de grands crus

Ces vignobles sont mentionnés dans les anciennes archives de Corbie mais plus particulièrement dans les censiers ou cueilloirs de l’Hôtel-Dieu (Années 1266, 1461, 1507, 1522) que l’on pouvait consulter jadis à l’hospice, Hôpital de Corbie. Malheureusement ils ont disparu dans le grand incendie de 1918.

Un document cité par D. Grenier, rapporte qu’au IXe siècle il y avait dans les environs de la ville plus de douze bonniers de terre plantés en vignes qui pouvaient donner tous les ans 90 muids de vin et
davantage. Or le bonnier de terre valait quatre journaux ce qui faisait au moins 48 journaux de vignes.

Avec le temps, la culture de la vigne prit plus d’extension. Elle est encore en pleine prospérité aux XVe et XVIe siècle. En l’année 1484 il revint à l’abbaye 1368 muids et demi de vin, si l’on en croit l’historien de Corbie. Nous sommes loin des 90 muids cités plus haut.

A qui appartenaient les vignobles de Corbie ?

Les vignobles de Corbie appartenaient :

L’inventaire des archives de Corbie mentionne à une date antérieure (1499, 1509), deux baux souscrits par les religieux des terres hors la porte d’Encre; au delà des Vignes, avec environ vingt journaux en friche, abandonnés mais plantés autrefois en vignes, moyennant quatorze livres par an.

Il y avait dans le censier de l’Hôtel-Dieu de Corbie de l’année 1512, folio 50, la désignation de plus de 8 journaux de vignes appartenant à cette maison, dont 3 journaux 15 verges d’un seul  tenant, le Clos de l’Hôtel-Dieu au Camp de la Harpe, près du chemin de Vaux.

Ainsi on cultiva la vigne à Corbie pendant des siècles comme cela se pratiquait d’ailleurs en Picardie aux environs d’Amiens. Les moines de Corbie plantèrent les premières vignes et étendirent ce genre de culture à des terres qu’ils faisaient défricher.

Elle dura jusque vers le XVII° siècle.

Il ne reste qu’à Corbie qu’un souvenir avec un quartier nommé “les longues vignes”

LES PRESSOIRS A VIN.

L’abbaye avait le monopole de la fabrication du vin à Corbie. A elle seule appartenait le droit de posséder les pressoirs à vin – comme d’ailleurs les moulins et les fours -  et d’en user pour presser non seulement son raisin mais celui des habitants qui cultivaient la vigne sur les coteaux voisins.

Elle exigeait en retour une redevance de 12 deniers environ (un sou) par muid au XVe siècle. A cette époque les pressoirs de l’abbaye étaient situés dans le clos St-Adhalard. (l’Enclos d’aujourd’hui) près du monastère mais hors des murs de la ville à l’époque.

Les habitants hantés par la crainte des invasions, craignaient de voir un jour les bâtiments des pressoirs servir d’embuscade et de retranchement à l’ennemi c’est pourquoi ils demandèrent qu’ils fussent  transférés à l’intérieur même de la ville.

On fit droit à leur demande et on établit les pressoirs à vin dans la rue St-Eloi (maintenant rue du 14 juillet). voir l’article sur cette rue.

On cite dans les archives de Corbie à la date 1590 une « maison et jardin séant à Corbie où étaient anciennement les pressoirs sur la rue St-Eloi. » et appartenant à l’abbaye.
Comme les moulins et les fours, les pressoirs de l’abbaye étaient affermés et cela ne contribuait pas à diminuer les difficultés. Maintes fois au cours des siècles les bourgeois de Corbie se plaignirent du  droit de banalité des pressoirs à vin et des abus qu’il engendrait, entre autres l’exagération des redevances.

Ils revendiquaient le droit de presser leur raisin, (leur verjus comme on disait encore), chez eux et où bon leur semblait. Toutes les réclamations qu’ils firent sur cette question de principe se heurtèrent à un refus catégorique. Le monopole de la banalité ne disparut qu’à la Révolution.

BÉNÉDICTION DU RAISIN.

La récolte du raisin donnait lieu à une cérémonie rapportée par Dom Grenier.

–«Le 6 du mois d’août on faisait (au monastère) la bénédiction du raisin nouveau à moins que l’année fut trop tardive

On procédait à cette cérémonie de la sorte  : Le custode de l’église lavait les grappes avec grand soin. Le chantre les portait à l’autel sur un plat d’argent un peu avant que le célébrant prononçât les paroles du canon : per quem hoec omnia Domine, etc.

Ces raisins étaient distribués ensuite au réfectoire par celui qui les avait bénits. On faisait la même cérémonie pour le pain et le vin nouveau et pour les premières fèves, sauf que le pain et les fèves étaient  bénits au réfectoire.

Les liqueurs des moines.

Il est à mentionner dans un inventaire de 1660 que les moines possédaient dans leur « apothicairerie » onze alambics et autres vases de verre à distiller.

Les utilisaient-ils pour extraire l’alcool de leur vin ?  Fabriquaient-ils quelque liqueur, quelques bénédictines dont ils possédaient le secret ? Un document de Dom Grenier permet de répondre affirmativement.

« Il est parlé de trois sortes de liqueurs que l’on servait à la communauté à certains jours. La première était composée de différentes herbes aromatiques dont la dominante était l’aulnée. La seconde était de béloine et d’herbes odoriférantes. La troisième se nommait piment ou pigment; c’était un composé de miel et d’épices Ces liqueurs étaient évidemment fabriquées dans, la maison.”

Le vin de mûres.

Dom Grenier nous renseigne sur une autre boisson usitée à l’abbaye et dans la région de Corbie dont l’usage a disparu  le vin de mûres que l’on fabriquait avec le fruit du mûrier.
Au temps où le sol picard ne portait pour ainsi dire qu’une vaste forêt, les mûres abondaient.

Taxation du vin

On faisait chaque année à Corbie la prisée ou taxation du vin.

En vertu des ordonnances anciennes, est-il dit dans les statuts des taverniers de Corbie art. 19 :

nul tavernier ne peut vendre de vins qu’ils n’aient été afforés c’est-à-dire qu’on en ait fixé le prix après forage de la pièce, sous peine d’une amende de 60 sous

C’est pendant l’importante foire de St-Mathieu que se faisait la taxation ou afforage des vins. `
Pendant la nuit qui précédait la St-Mathieu, le prévôt de la ville, des échevins, des sergents à verge et des « cercles ou sergents de nuit, ces derniers porteurs de torches, se rendaient dans les caves et celliers des taverniers pour mettre prix aux vins et les vérifier.

Après essai, on jetait hors du cellier, dans la rue, les vins reconnus mauvais; les tonneaux contenant ces vins étaient défoncés et donnés aux sergents de nuit pour leur salaire.

Il se faisait une autre prisée des vins le 21 décembre de chaque année, jour où le prévôt et les 4 échevins en fin de charge se réunissaient pour arrêter la liste des 15 candidats parmi lesquels l’abbé de Corbie choisissait leurs remplaçants pour l’année suivante.

Sources : Bulletin de la société de antiquaires de Picardie - Dom Grenier