Dans la ville d’Amiens, se trouve une maison bien connue depuis déjà plusieurs siècles, il s’agit de la Maison dite du Sagittaire.

Originellement, elle était sise rue des Vergeaux à Amiens, en 1881 elle porte le numéro 63.

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Il s’agit d’une très ancienne maison qui fut maison de commerce,

Cette maison date du XVIe siècle, elle est ornée d’une superbe façade de type Renaissance, elle est dotée de deux grandes baies d’inspiration gothique.

Elle tirait son nom des deux sagittaires sculptés au-dessus des deux arcades de celle-ci.

Maison Sagittaire Amiens

Sagittaire amiens corbie2

La Maison à travers le temps

On attribue sa construction à Charles BULLANT, fils cadet de Jehan BULLANT l’aîné, maçon de la ville d’Amiens et neveu de Jean BULLAN le jeune ( né vers 1515, probablement à Amiens et mort le 13 octobre 1578 à Écouen, architecte et sculpteur français de la Renaissance.)

La maison est occupée en 1568 par Hubert BULLANT, fils de Jean BULLANT, le célèbre architecte

Le 7 janvier 1575 François GAUGUIER licencié-es-lois, sieur de CAMPREUX, ancien mayeur d’Amiens, vend cette maison à Jean BULTEL, bourgeois et marchand drapier de Corbie et à Marguerite FOURNIER sa femme.

Notre commerçant drapier Jehan BULTEL commanda une façade Renaissance, style architectural de l’époque. Sur celle-ci, un sagittaire en deux exemplaires fut sculpté, animal mythologique qui donna son nom à la demeure.

Les références à l’Antiquité, caractérisant la Renaissance, sont présentes dans la superposition des trois ordres architecturaux grecs, c’est-à-dire dorique, ionique et corinthien (visibles avec les pilastres à chaque niveau) et dans les têtes d’hommes et de femmes, notamment un soldat.

L’Humanisme, courant de pensée d’alors, ne sera pas omis puisque des plaques mentionnent des écrits appelant à la concorde, véritables messages de paix gravés en pleines guerres de religion.

La femme dont le poignet droit est enchaîné serait certainement la Duchesse Douairière de Longueville, mère du Gouverneur de Picardie, parente du roi de France Henri IV dont la famille est connue pour avoir été protestante. L’aspect carcéral de cette sculpture rappelle que nous étions alors dans une ville catholique.

La duchesse de Longueville a été enfermée avec ses trois filles au Logis du Roi, de 1589 à 1592.

 

 

sagittaire taverne 1891

1891 La maison taverne du sagittaire

 

Maison du sagittaire AmiensMaison du sagittaire Amiens

 

De nos jours, accolée au Logis du Roy, la façade de la Maison du Sagittaire a eu une histoire mouvementée.

En effet, située rue des Vergeaux à Amiens à l’origine (les photos précédentes), la demeure sera incendiée pendant la Seconde Guerre mondiale, en mai 1940, ne laissant pour survivante que sa façade sculptée dont les pierres.

 

En mai 1940 maison sagittaire amiens

En mai 1940 maison du sagittaire Amiens

 

logis du roi et sagittaire

 

Logis_du_Roi_et_maison_du_Sagittaire Amiens

Description maison du sagittaire

Le rez-de-chaussée est composé de deux arcades ogivales, dans l’une d’elles, sur celle du côté marché Lansellles on trouvait un superbe ouvrage de serrurerie. Sa forme est ronde sur un diamètre de 0m98, cet ouvrage a dû être fait, pour boucher un œil de bœuf.

La façade est richement décorée de sculptures notamment des 2 petits sagittaires qui donnèrent leur nom à la maison.

On y trouve également une Vierge à l’Enfant et des sculptures allégoriques telles l’Affliction représentée par une femme enchaînée armée d’un poignard dont elle se transperce la poitrine et la Piété figurée par une autre femme qui tient dans ses bras une cigogne, tandis qu’une autre cigogne apporte dans son bec un serpent, symbole de la piété filiale.

Quel lien avec Corbie?

Cette maison a appartenu à un très riche marchand drapier de Corbie, Jehan (Jean) BULTEL.

Marié avec Marie LECLERC, alors veuve de  Jean du FRESNE, seigneur d’Haudrimont décédé en 1587fille de Philippe LECLERC Marie MOURET, en 1603 ils étaient mariés encore


Marié avec Marguerite FOURNIER née en 1575, ils eurent :

Robert Jacques Bultel 1580- décembre 1647 marié le 24 janvier 1600 à  Amiens dans l’église Saint-Martin, avec Anne du Fresne (1585-1620), ils auront une dizaine d’enfants,  il sera Conseiller du Roi, président au grenier à sel, et échevin d’Amiens (1624, 1625, 1638, 1639)

Catherine Bultel mariée avec Jean de Collemont puis re-Mariée entre 1630 et 1632 avec Jean de Herte, seigneur de Hailles

Hugues Bultel Né le 11 août 1589 - Amiens, paroisse Saint-Martin

Pierre Bultel Né le 21 mai 1595 - Amiens, paroisse Saint-Martin

Jean Bultel †/1599

Jehan était un  fidèle d’Henri IV et adversaire de la Ligue.

Jehan BULTEL décédera avant avril 1611

La maison du sagittaire passera par la suite dans les mains de son fils Jacques BULTEL.

— Petite anecdote : —

Quand arriva le trépas de son épouse et par amour, Jacques BULTEL, créa une fondation dans la paroisse de Saint Firmin le Confesseur à Amiens.

Cette fondation devra verser une somme assez conséquente à l’époque de 236 livres et 10 sols annuellement pour une messe quotidienne et privatisera un banc au sein de cette église, ce banc privé devra être réservé aux femmes et descendantes de la famille, et cela tant qu’il y en aura et il ajouta également les femmes du propriétaire de la maison du Sagittaire.

En 1642 les moindres clauses étaient minutieusement réglées, comme le nombre  de ceux qui chaque matin devaient assister l’officiant, l’heure à laquelle la messe serait dite….
la place du banc, qui devait être devant à la place d’honneur, adossé à un pilier, un banc fermé des vieux chênes ou d’antique noyers, un banc tout brillant de cire, frappé des armoiries du conseiller.
Un jour de décembre 1647 Jacques BULTEL s’éteignit , et la maison du Sagittaire sera alors vendue à plusieurs reprises.

 

Le premier acquéreur fut Jean LEROUX mais en 1667 on retrouve une acte qui indique que la maison fut saisie et vendue à la requête de Jean de la Force sur la succession de Jean LEROUX, cette seconde vente sera effectuée le 6 juillet 1667, la maison sera alors adjugée à 3 personnes, une mère, son fils et le cousin, la vielle dame était Marie FAUQUEL, veuve de Louis DEBONNAIRE, l’aisné; son fils se nommait Louis DEBONNAIRE, le jeune marchand et échevin; le cousin était appelait GALAND, bourgeois et échevin.

 

Ils y vivront en pleine harmonie et bonne intelligence, un petit cahier d’écriture fut trouvé, intitulé État de ce que nous a cousté la Maison du Sagittaire
La maison avait 3 locataires : le principal était le sieur MONTIGNY, un autre était LEQUIEN, les 3eme était Charles FLEUTREL. Enfin Louis DEBONNAIRE ou sa mère avait loué le grenier.
 

La maison avait déjà 2 échoppes les termes de la location étaient 166 livres 13sous 4deniers pour le cousin MONTIGNY ; de 38 l. 6 s. 8d pour le sieur LEQUIEN; de 22 livres environ pour Charles FLEUTRE.

Cela représentait en 1668 un revenu de 920 livres, auquel il faut ajouter 25 livres pour le grenier, soit un total de 945 livres

maison sagittaire 6 7 1667

 

Le livre de compte s’arrêta en 1683, avec comme mention “continue au nouveau livre de rentes” ce qui doit coïncider avec le trépas de Louis Débonnaire qui précéda sa mère dans la tombe et peu de temps après ce fut le sort de Jean GALAND

On retrouvera en 1685 une Dame Marie FEUQUEL, veuve de l’honorable GALAND et de demoiselle Magdeleine Jacob, veuve d’honorable homme Louis DéBONNAIRE., en 1686 la mère de DéBONNAIRE était encore en vie, et dut mourir entre 1687 et 1693.

 

 

Quant à la fondation, elle continua de verser la rente prévue pour l’église, mais quelques années plus tard un prêtre peu scrupuleux, déplaça le banc dans un coin reculé de l’église et « espaça» les messes journalières, mais bien entendu tout en touchant l’argent du défunt sieur BULTEL.

En 1693 bien que moins présentes aux offices, la vie les ayant éloignées de la paroisse, la fille et la petite fille du Maistre, Marie et Marguerite d’Amiens, portent plainte, pour que soit respectées les volontés de leur aïeul.

 

Le 13 Mars 1693 le conseiller du roi, Guy de BACQ ,chevalier seigneur dudit lieu, condamna ce curé et les marguilliers à rembourser 4000 livres (c’est à dire le total des messes non dites) et imposa la reprise des dites messes ainsi que la remise en place du banc.

 

En 1700, la bru de la mère DéBONNAIRE, héritière de son mari restait copropriétaire avec les héritiers de GALAND : honorable homme Martin GALAND, chanoine à Arras. Mais ces derniers adressèrent le 21 janvier 1700 à M. le lieutenant civil d’Amiens une demande de licitation pour le tiers leur appartenant de la maison “à cause d’une longue inhabitation occasionnant de grosses réparations
Les consorts Débonairre refusèrent et furent assignés. Une sentence intervint le 3 mars 1700, ordonnant la vente du bien indivisis. L’adjudication eut lieu le 28 avril suivant.
Les avoués CARON et DeNIS la menèrent, la mise à prix était de 4000 Livres, Son command était honorable homme Martin GALAND marchand et ancien échevin d’Amiens qui devint alors seul propriétaire de la maison acquise en partie par son ascendant en 1667

La femme de Martin GALAND était Marguerite BOISTEL, ils eurent 8 enfants qui, à la mort du père, se partagèrent la maison le 7 décembre 1719 (la mère étant décédé en octobre 1701)
L’un des enfants François racheta à ses frères et sœurs leur part moyennant 2500 livres. L’un lui céda en 1719, quatre en 1720, un en 1722 et enfin le dernier en 1732. (lui exigea 3000livres)
François GALAND resta propriétaire de la maison du sagittaire de 1720 à 1768 date de sa mort. Entre temps le 11 aout 1764 Jean-Baptiste BULTEL, descendant de Jacques BULTEL lui avait réclamé la jouissance du fameux banc en lui faisant signifier le contrat de fondation de son ancêtre Charles GOUIN, sergent à masse, respectant ainsi les vœux de son ancêtre.

 

En 1768 ce fut son fils Jean-Baptiste GALAND qui fut propriétaire de l’hôtel qui lui avait été attribué dans son contrat de mariage.

 

En 1788 l’hôtel appartenant à ses 6 enfants, fut cédé à Pierre-Louis GENSSE, négociant, ancien consul moyennant 39000 livres, plus 3 livres aux pauvres et 24 livres aux domestiques, le maiement en fut terminé fin mai 1789 entre les mains de GALAND père et fils dont la famille avait possédé la maison du sagittaire pendant 122 ans. 

La maison sera classée « Monument Historique » par arrêté du 21 décembre 1941, la façade va être sauvée.

En juillet 1952, sous la direction des Monuments historiques, la façade est déposée pierre par pierre et quittera définitivement la rue des Vergeaux.

Celle-ci doit être transférée et réédifiée en un autre lieu.

Les pierres furent numérotées, une à une et furent installées dans des caisses puis mises en dépôt à l’intérieur de léglise Saint-Germain qui fera office de dépôt-atelier car les pierres de la façade Renaissance seront également restaurées en ce lieu.

Durant les huit années suivantes, la façade de la Maison du Sagittaire, en pièces détachées, réside à l’intérieur de l’église.

Ce sera en janvier 1960 que sera prise la décision de réédifier la façade de la Maison du Sagittaire à côté de la Tour du Logis du Roy, en avant d’un immeuble en cours de construction.

La repose des pierres de la façade sera effectuée par des ouvriers d’art.

Remontée, la façade fait ensuite l’objet de travaux de restauration des motifs sculptés par André LAVAYSSE, sculpteur-statuaire.

Une restauration a eu lieu début des années 2000, cette restauration a mis en valeur des locutions latines inscrites sur les tablettes de marbre incorporées dans une magnifique frise:

NE CONTEMPTOR SIS

QUOD POSSUM NON QUOD DEBEO

USUI AC DECORI

UTILE QUOD HONESTUM

 

Ne sois pas méprisant

Ce que je peux, non ce que je dois

Pour l’utilité et la beauté

Est utile ce qui est honorable ou probité et prospérité vont de pair

 

On retrouve à travers l’histoire cette maison également sous le nom échoppe du relieur Vernier